Les Géants anonymes by François Désalliers

Auteur:François Désalliers
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
ISBN: 978-2-76441-786-7
Éditeur: Québec Amérique
Publié: 2012-07-17T00:00:00+00:00

20

L

e gros monsieur chauve, le disciple de James Krenov, tente d’introduire sa clé dans le contact.

— Calme-toi, dit Francis.

— Je vais te reconduire chez toi.

— Non, laisse-moi au restaurant, c’est sur ton chemin.

— Ce n’est pas une bonne idée.

— Viens déjeuner avec moi. Comme ça, tu pourras la voir.

— Je n’y tiens pas. Je ne veux pas me mêler de ça. Tu es sur une pente dangereuse. Tu ferais mieux de rentrer chez toi.

La clé pénètre enfin dans la serrure. La voiture démarre.

— Si tu ne veux pas me conduire, ce n’est pas la peine.

Francis s’apprête à sortir.

— Laisse faire ! gueule Martin. Je vais t’amener à ton foutu restaurant ! Mais je te dis que tu fais une bêtise de taille !

— Je sais.

Martin immobilise le véhicule en face du restaurant. Par les larges baies vitrées, ils peuvent apercevoir les géants qui sont assis aux tables. Ils déjeunent tranquillement. Certains se lèvent à l’occasion pour aller aux toilettes, pour prendre une serviette de table dans un distributeur chromé, pour commander quelque chose à la grosse fille derrière la caisse.

Francis est assis dans la voiture. Il essaie de repérer Carole dans cet amas de bras et de jambes. Il finit par ouvrir la portière et il s’extirpe du véhicule. Martin démarre. Francis regarde de l’autre côté de la rue, le soleil qui danse quelque part, non, ce n’est pas le soleil, il vient d’apercevoir Carole dans son costume, casque d’écoute sur la tête, micro devant la bouche, qui se promène avec une cafetière, qui s’arrête un instant, remplit une tasse, comme une lumière dans un globe de cristal.

Il y a un bon moment que la voiture de Martin s’est éloignée. Francis traverse la rue, se dirige vers le restaurant. Des enfants de six pieds avec leurs parents encore plus grands ; un homme qui doit bien faire sept pieds, les genoux qui dépassent le dessus de la table de formica, avec sa petite femme de six pieds et demi ; un joueur de basket-ball, de toute évidence, aux mains aussi larges qu’une pizza extra-large ; une blonde aux jambes interminables, sortie tout droit d’un film de Fellini ; un vieillard, voûté mais immense, qui semble porter le poids du monde sur ses épaules. Voilà le tableau qui s’offre à Francis pendant que celui-ci traverse la rue, puis se rend au restaurant, c’est-à-dire le contourne, pour entrer par la porte du côté sud. Il tire sur la poignée, pénètre dans l’établissement. Carole n’est pas la seule à faire le service. Il y a encore Nancy, la jeune Noire, très jolie, vraiment très jolie, mais qui a l’air d’une naine parmi ces géants, et un type d’une soixantaine d’années qui se déplace de table en table, donne des poignées de main, prend le temps de discuter avec les géants, ramasse les plateaux vides, jette les déchets dans la poubelle, puis se rend aux cuisines, donne un coup de main aux trois gars qui sont là. En plus d’Éric, il y a Roland,

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